Juste quelques mots
Juste
quelques mots et après je te laisserai partir. Je cesserai de vouloir accrocher
ton regard et ton cœur à l’évidence de notre amour.
Je n’ai
pourtant pas envie de te parler de notre plaisir à être ensemble : s’il
fait partie de cette évidence, il ne semble pas suffire à te garder prés de
moi. Je ne veux pas non plus te remémorer nos souvenirs : malgré la force
qu’ils ont mis à nous maintenir ensemble, ils ne sont plus à tes yeux une
raison suffisante à résister au doute qui t’envahit.
Je te
parlerai de ton voyage. De celui que tu as commencé sans me quitter. Celui qui
te fait visiter encore les rivages lointains que je ne pourrai jamais atteindre
malgré toute la force de ma volonté.
Je t’ai vu
partir un jour, sans qu’il ne te soit nécessaire de faire tes valises. Nous
étions quelques uns, mais je fus le seul témoin de ton départ. Je scrutais ton
visage, souriant jusque là. Une ombre est venue assombrir soudainement la
lumière naturelle de ton regard. Ton sourire, tout doucement, s’est nuancé
d’une expression de lassitude et de tristesse. J’ai ressenti une douleur
profonde sans parvenir à me l’expliquer. Mon regard est remonté de ta bouche à
tes yeux pour n’y plus voir que l’absence. Je t’ai vu nous quitter, abandonner l’ambiance
chaleureuse et bruyante que nous avions voulu pour toi : nous fêtions ton
anniversaire.
Cette nuit
là, ton voyage n’a pas duré très longtemps. Je t’ai attendu sur le quai comme
j’allais devoir le faire de nombreuses fois à partir de ce moment. J’ai tenté
de trouver la place la moins inconfortable, consciente déjà que ce n’était que
ton premier voyage. J’ai recommencé à fumer quelques temps plus tard. Je
trompais l’attente en tirant nerveusement sur mes cigarettes. En rentrant de
l’une de tes absences, tu m’as regardée, surpris, avant de me dire :
« tiens ? Tu fumes, toi, maintenant ! ». Je n’ai pas eu le
courage de te répondre que cela faisait plusieurs semaines déjà. Sans doute
aurais-tu été gêné et je m’en serai voulue de te faire supporter si brutalement
le poids de mes inquiétudes.
J’ai pris mes
habitudes sur ce quai. Parfois même peut-être ai-je été contente de m’y
retrouver. Je préférais t’attendre plutôt que de ne plus reconnaître celui que
je croyais accompagner depuis quatre ans. Ce furent bientôt des moments de
répit pendant lesquels je me réfugiais dans nos souvenirs. Je retrouvais cette
chaleur qui me manquait si cruellement. J’étais plus prés de toi alors,
tellement plus prés de toi dans tes absences que je ne pouvais l’être quand tu
revenais parmi nous.
J’aurais dû
réagir sans doute. Te hurler ma douleur pour que tu cesses tes voyages. Mais je
ne te connaissais déjà plus. M’aurais-tu entendu ? N’aurais-tu pas pris
ton envol pour un ultime voyage ? J’ai préféré me taire et attendre. Aujourd’hui,
je le sais : j’ai eu tord. Je n’ai fais que retarder ce moment que je vois
se profiler aux ombres de ton visage.
Tes voyages,
de plus en plus longs, te ramènent de moins en moins prés de moi. Tu n’es plus
que l’ombre de ce que nous avons été.
Ton dernier
voyage approche. J’ai passé tant de temps sur le quai que je connais maintenant
l’heure de tes départs, celle de tes retours et quelques uns des méandres de
tes itinéraires. Et je sais, depuis quelques jours déjà, que tu t’obliges à
revenir. Ta volonté, bientôt, n’y suffira plus. Ton envie s’est déjà perdue,
égarée comme un bagage trop lourd qu’on laisse derrière soi pour venir le
rechercher plus tard mais que l’on ne retrouve jamais.
Dans ce
bagage perdu, il y avait l’amour que tu m’avais porté, les souvenirs que nous
avions construit. Et jusqu’au désir même qui avait embrasé nos corps.
Peut-être
garderas-tu une trace légère de notre voyage ensemble. Comme un mot griffonné,
une photographie aux coins cornés que l’on garde dans son portefeuille quelques
temps avant de l’enfermer dans une boite à chaussures, au milieu des souvenirs
de nos vies antérieures.
Je viens de
prendre mon billet. Je le vois dans tes yeux. J’espérais tant pourtant qu’il ne
soit pas si tard. J’espérais tant m’être trompée et que tu me le prouves en
quelques mots…
Juste
quelques mots.