J’ai jeté un coup d’œil en arrivant sur le parking, pour vérifier si sa voiture
y était. J’ai été presque malgré moi dans le coin le plus reculé dans lequel on ne voit pas s’il s’y trouve des voitures à moins de n’en être qu’à une dizaine
de mètres
J’ai pris le petit sentier qui monte jusqu’à
l’immeuble. J’ai levé la tête en direction
de l’appartement espérant
y voir la lumière tamisée qu’elle affectionne. Mais l’intérieur semblait désespérément sombre : ni lumière,
ni son ombre qui bougeait parfois lorsque j’arrivais.
J’ai gravi les escaliers doucement, sans courir afin de ne pas m’essouffler : je n’aimais pas être essoufflé lorsque je la serrais dans mes bras avant même de fermer la porte du pallier. Avant d’introduire la clef dans la serrure,
j’ai vérifié, par acquis de conscience, que la porte n’était pas ouverte. J’ai souris de mon geste : elle fermait
le verrou de toute façon pour que le chat
ne puisse pas ouvrir la porte.
Je suis entré dans l’appartement et ai allumé le plafonnier. Puis j’ai été jusqu’à la petite
lampe, l’ai allumée afin de pouvoir éteindre le plafonnier : si elle devait passer la porte, je ne voulais pas qu’elle se sente agressée
par une lumière trop vive.
J’ai mis l’ordinateur sous tension avant d’aller me servir un verre de vin. A mon retour, j’ai vérifié mes
emails : pendant les vingt minutes qui séparent
mon domicile du bureau,
elle aurait eu le temps de m’envoyer
un message. Pris d’un doute subit, j’ai regardé si je n’avais
rien reçu sur mon portable : appel manqué, sms. Je me suis vraiment
trouvé ridicule à ce moment là
: entre la sonnerie et le
vibreur, je n’ai jamais loupé un appel.
Je me suis roulé une cigarette
en prenant bien soin de ne pas laisser tombé au sol des brins de tabac. J’ai toujours gardé en mémoire la réflexion qu’elle
m’avait faite un jour : « déjà que tu m’asphyxie, tu pourrais au moins faire attention
à ne pas salir ! ». Je n’ai pour autant pas pu me résoudre
à passer aux cigarettes toutes faites, ni
à arrêter de fumer. Avant
de l’allumer, j’ai mis la musique puis me suis assis dans le canapé. J’ai observé la télé éteinte un bon moment. Je voyais dans le reflet de l’écran
les volutes de la fumée monter doucement, dessiner des formes
longues et fines qui m’ont rappelé
les siennes.
Je me suis levé au bout d’un moment pour aller jusqu’à la cuisine.
En prenant un morceau
de jambon et une tomate,
j’ai vu la bouteille d’eau pétillante
dans la porte du réfrigérateur. Elle aimait bien cette eau
lorsqu’elle se levait la nuit.
J’ai déposé l’assiette de jambon
et la tomate sur la table de salon et suis allé dans la chambre
dont je n’ouvre
jamais les volets.
J’ai laissé mes yeux s’habituer à la pénombre pour me rendre compte que le lit n’était
pas défait. Je suis retourné au salon et me suis assis devant l’assiette. J’ai roulé une autre cigarette
et me suis resservi un verre de vin. Je suis laissé emporter par ce morceau
de musique qu’elle aimait tant et sur laquelle la lecture aléatoire s’était arrêtée. Pris de remord
à cause de l’odeur
que mes cigarettes allaient laisser, j’ai été cherché une bougie.
Je l’ai placée dans ce bougeoir
qu’elle m’avait offert à son retour. D’où revenait-elle déjà ? Etait-ce d’Inde ou du Maroc ? Elle
voyageait tellement. Celui-là devait venir d’Inde.
J’ai allumé
la bougie puis ma cigarette. Les volutes ont recommencé à danser au dessus de moi. Je les ai suivies des yeux jusqu’à ce que mon regard se perde sur l’horizon
du plafond. L’un des seuls horizons que j’acceptais encore de voir.
Après avoir terminé ma cigarette, je me suis levé pour ramener l’assiette de jambon et la tomate dans la
cuisine. La bouteille
de d’eau se trouvait toujours
dans le frigo.
Je me suis installé devant l’ordinateur afin de vérifier
qu’aucun email ne m’était
parvenu. J’ai supprimé les quelques
pubs qui encombraient ma boite de réception et qui pourraient me faire passer à coté d’un nouveau message. J’ai ouvert
le dossier personnel
dans lequel j’avais
stocké tous les mails qu’elle m’avait envoyés et j’en ai relu quelques
uns. J’ai soigneusement évité de regarder celui qui se trouvait tout en haut. Parce que c’était
le dernier. Parce que, celui-là, je le connaissais par
cœur.
J’ai ensuite
été regarder les photos stockées dans l’album de l’ordinateur. Pour
vérifier. Mais non, je n’avais pas oublié son visage. J’avais toujours
en mémoire ces taches de rousseurs, leur disposition exacte, la courbe de ses yeux, la forme de son nez, la couleur de sa bouche. En fermant
les
yeux, je me souvenais aussi de la douceur de ses lèvres, de sa peau.
J’ai éteint
l’ordinateur après avoir vérifier
qu’aucun email n’était arrivé entre temps. Je suis retourné sur le canapé, me suis roulé une dernière
cigarette et me suis servi un dernier verre de vin. Le chat en a profité pour venir ronronner sur mes genoux tout en tricotant sur mon jean avec ses griffes. Je l’ai fait partir rapidement : c’était le jean que l’on avait acheté ensemble
et puis elle n’aimait pas
quand le chat « tricotait » sur elle.
J’ai écrasé ma cigarette, bu mon verre de vin. J’ai
vidé le cendrier dans la poubelle
pour éviter l’odeur de tabac froid qui l’agaçait tellement. J’ai éteint la lumière et ai rejoint
la chambre. Je me suis dévêtu dans le noir comme j’en avais pris l’habitude pour ne pas la réveiller quand je rentrais tard. Puis je me suis couché sur le coté droit du lit,
la tête tournée vers la place qu’elle occupait chaque
nuit. J’ai hésité à me caresser. Je me suis retenu pour le cas où elle serait arrivée en voulant
retrouver le goût de nos étreintes.
J’ai laissé longtemps mon esprit vagabonder sur le paysage formé par la couette, étrangement plat de son coté. Je n’ai pas compris
tout de suite pourquoi.
J’ai mis du temps à me rendre compte qu’il aurait fallu que son corps soit présent.
Son corps et pas seulement
le souvenir que j’en gardais.
Le sommeil a séché mes
larmes. Quelques
rêves, sans doute, ont peuplé ma nuit.
Je me suis réveillé tôt comme à mon habitude.
Je me suis levé sans faire de bruit, ai enfilé mon peignoir et suis parti dans la cuisine préparer
mon café. Je suis passé dans le salon pour allumer l’ordinateur avant d’aller
prendre ma douche.
Après m’être habillé, j’ai vérifié
ma boite de réception
dans laquelle il n’y avait aucun message.
J’ai bu mon café et me suis roulé une cigarette. J’ai mangé un morceau de pain avant de l’allumer en me souvenant
qu’elle ne supportait pas l’idée que je
fume à jeun.
Je suis resté un petit moment devant mon café, puis j’ai débarrassé la table. Avant d’aller me laver les dents, j’ai été éteindre
l’ordinateur après avoir regardé
ma boite de réception
vide. J’ai jeté un rapide
coup d’œil, un peu gêné, sur mon portable.
J’ai enfilé mon manteau, puis avant de quitter
l’appartement, je suis resté quelques secondes à scruter chaque
objet, chaque meuble pour imprimer dans ma mémoire les endroits précis où ils
se trouvaient, de façon à
me rendre compte
du plus léger déplacement
durant mon absence.
J’ai refermé
la porte avec ce même espoir au fond de moi de la retrouver
le soir. Ce même espoir qui me fera consulter ma boite mail tout au long de la journée depuis l’ordinateur de mon bureau. Ce même espoir qui depuis
deux ans, depuis que tu m’as quitté,
me pousse à croire que l’amour peut être plus
fort que la mort.