dimanche 20 octobre 2013

L’entre-deux mondes

Quand tu es rentrée le matin, nous avons bien pris soin de ne pas parler. Nous ne nous sommes pas non plus regardés. Chacun avait peur, semble-t-il, des choses que nous avions au fond des yeux. Nous avons bu notre café silencieusement, sans que l’un d’entre nous n’ait envie de briser cette gène qui nous enveloppait. Comme si nous trouvions du confort dans cet entre-deux mondes, celui d’hier et celui d’aujourd’hui.

Tu t’es levée pour rejoindre la salle de bain. J’ai débarrassé la table du petit déjeuner en prenant mon temps. Il me semblait que nous avions trouvé préférable de ne pas être ensemble dans cet endroit si exigu. Le miroir avait auparavant trop vu nos sourires se croiser : il se serait certainement brisé devant la fuite de nos regards.
Quand je t’ai entendu entrer dans la chambre, j’ai pris ta place. J’ai fixé ta brosse à dents tout le temps que j’ai passé à brosser les miennes, la rendant responsable de ce sourire que je n’avais pas vu aujourd’hui. Je savais bien pourtant, au fond de moi, qu’elle n’y était pour rien. J’ai déposé ma brosse à dents à coté de la tienne pour qu’elles puissent presque s’entrelacer.

Tu avais à peu prés terminé de t’habiller lorsque je suis entré dans la chambre à mon tour. J’ai enfilé rapidement mes vêtements afin d’éviter que tu me vois nu. J’ai pensé sur le moment que cela nous aurait embarrassé tous les deux. Je t’ai regardé à la dérobée lorsque tu es sortie. Je t’ai trouvé belle. Et ça m’a fait mal.
Je t’ai retrouvé dans la cuisine où tu nous avais servi notre second café. Tu as allumé une cigarette et m’a tendu ton paquet, toujours sans que nos regards ne se croisent, sans un mot. En le prenant, j’ai effleuré tes doigts et m’en suis excusé. Nous avons fumé en silence, les regards éperdument fixés sur des horizons trop proches.

Je t’ai surprise en te demandant quel serait le programme de ta journée. Ta réponse m’a permis d’entendre le son de ta voix pour la première fois depuis ton arrivée.
Et puis nous avons parlé. De tes collègues, du temps qui était prévu, des taches sur la nappe, de la vidange qu’il fallait prévoir, de l’augmentation du prix du carburant, du dernier livre d’Olivier Adam, de la déprime – certainement passagère – de Murielle, de mon boulot… Au fur et à mesure, parler devenait moins difficile. C’était comme une délivrance, un poids qui s’atténuait à mesure que les mots s’échappaient de nos bouches.

Tu as fini par regarder l’horloge de la cuisine qui indiquait l’heure proche du départ pour chacun d’entre nous.
Tu t’es levée pour mettre ton manteau. Tu as marqué une hésitation, dont je devais me souvenir longtemps. Comme un mot, une explication, une envie de venir vers moi. Nous sommes descendus ensemble jusqu’au parking où nos voitures étaient garées cote à cote.

Tu as passé ta main le long de mon bras avant de monter dans ta voiture. Tu n’as rien dit, tu ne m’as pas regardé. Tu as démarré et tu as quitté ma vie.

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