mardi 8 octobre 2013

Juste quelques mots


Juste quelques mots 
Juste quelques mots et après je te laisserai partir. Je cesserai de vouloir accrocher ton regard et ton cœur à l’évidence de notre amour.

Je n’ai pourtant pas envie de te parler de notre plaisir à être ensemble : s’il fait partie de cette évidence, il ne semble pas suffire à te garder prés de moi. Je ne veux pas non plus te remémorer nos souvenirs : malgré la force qu’ils ont mis à nous maintenir ensemble, ils ne sont plus à tes yeux une raison suffisante à résister au doute qui t’envahit.
 
Je te parlerai de ton voyage. De celui que tu as commencé sans me quitter. Celui qui te fait visiter encore les rivages lointains que je ne pourrai jamais atteindre malgré toute la force de ma volonté.

Je t’ai vu partir un jour, sans qu’il ne te soit nécessaire de faire tes valises. Nous étions quelques uns, mais je fus le seul témoin de ton départ. Je scrutais ton visage, souriant jusque là. Une ombre est venue assombrir soudainement la lumière naturelle de ton regard. Ton sourire, tout doucement, s’est nuancé d’une expression de lassitude et de tristesse. J’ai ressenti une douleur profonde sans parvenir à me l’expliquer. Mon regard est remonté de ta bouche à tes yeux pour n’y plus voir que l’absence. Je t’ai vu nous quitter, abandonner l’ambiance chaleureuse et bruyante que nous avions voulu pour toi : nous fêtions ton anniversaire.

Cette nuit là, ton voyage n’a pas duré très longtemps. Je t’ai attendu sur le quai comme j’allais devoir le faire de nombreuses fois à partir de ce moment. J’ai tenté de trouver la place la moins inconfortable, consciente déjà que ce n’était que ton premier voyage. J’ai recommencé à fumer quelques temps plus tard. Je trompais l’attente en tirant nerveusement sur mes cigarettes. En rentrant de l’une de tes absences, tu m’as regardée, surpris, avant de me dire : « tiens ? Tu fumes, toi, maintenant ! ». Je n’ai pas eu le courage de te répondre que cela faisait plusieurs semaines déjà. Sans doute aurais-tu été gêné et je m’en serai voulue de te faire supporter si brutalement le poids de mes inquiétudes.

J’ai pris mes habitudes sur ce quai. Parfois même peut-être ai-je été contente de m’y retrouver. Je préférais t’attendre plutôt que de ne plus reconnaître celui que je croyais accompagner depuis quatre ans. Ce furent bientôt des moments de répit pendant lesquels je me réfugiais dans nos souvenirs. Je retrouvais cette chaleur qui me manquait si cruellement. J’étais plus prés de toi alors, tellement plus prés de toi dans tes absences que je ne pouvais l’être quand tu revenais parmi nous.

J’aurais dû réagir sans doute. Te hurler ma douleur pour que tu cesses tes voyages. Mais je ne te connaissais déjà plus. M’aurais-tu entendu ? N’aurais-tu pas pris ton envol pour un ultime voyage ? J’ai préféré me taire et attendre. Aujourd’hui, je le sais : j’ai eu tord. Je n’ai fais que retarder ce moment que je vois se profiler aux ombres de ton visage.

Tes voyages, de plus en plus longs, te ramènent de moins en moins prés de moi. Tu n’es plus que l’ombre  de ce que nous avons été.

Ton dernier voyage approche. J’ai passé tant de temps sur le quai que je connais maintenant l’heure de tes départs, celle de tes retours et quelques uns des méandres de tes itinéraires. Et je sais, depuis quelques jours déjà, que tu t’obliges à revenir. Ta volonté, bientôt, n’y suffira plus. Ton envie s’est déjà perdue, égarée comme un bagage trop lourd qu’on laisse derrière soi pour venir le rechercher plus tard mais que l’on ne retrouve jamais.

Dans ce bagage perdu, il y avait l’amour que tu m’avais porté, les souvenirs que nous avions construit. Et jusqu’au désir même qui avait embrasé nos corps.

Peut-être garderas-tu une trace légère de notre voyage ensemble. Comme un mot griffonné, une photographie aux coins cornés que l’on garde dans son portefeuille quelques temps avant de l’enfermer dans une boite à chaussures, au milieu des souvenirs de nos vies antérieures.

Je viens de prendre mon billet. Je le vois dans tes yeux. J’espérais tant pourtant qu’il ne soit pas si tard. J’espérais tant m’être trompée et que tu me le prouves en quelques mots…

Juste quelques mots.

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